vendredi 29 janvier 2021

L’AFRIQUE, UN CONTINENT EN VOIE D’ÉMERGENCE

 


Alors que l’identification de pays africains réellement émergents s’avère complexe, l’Afrique dispose d’atouts pour décoller en tant que continent grâce, dans un premier temps, au développement d’un marché commercial, puis d’un marché financier.

L’Afrique est aujourd’hui considérée comme une terre d’opportunités économiques et financières. Depuis 2000, ses bonnes performances économiques suscitent une vague d’optimisme de la part des investisseurs internationaux. Un sentiment qui pourrait être conforté par la résilience dont fait preuve l’activité économique africaine face à l’épidémie de Covid-19 (- 2,6 % en 2020), au regard de son impact à l’échelle mondiale (- 4,4 %).   L’émergence, un concept mobilisé par les pays africains eux-mêmes Face à ce renouveau, les dirigeants africains ont adapté leurs discours pour évoquer les ambitions économiques de leurs pays respectifs. Les objectifs traditionnellement mis en avant de réduction de la pauvreté ou d’amélioration des indicateurs socioéconomiques ont progressivement laissé place à l’ambition d’« émergence » dans la plupart des plans nationaux de développement économique des pays du continent. Près de la moitié des économies africaines disposent d’un plan national visant à accéder à l’émergence à court, moyen ou long terme. À titre d’exemple, l’ambition du Plan « Sénégal émergent » est d’en faire un pays émergent à l’horizon 2035. Au Gabon (« Plan stratégique Gabon émergent »), cet objectif devrait être atteint dès 2030. La stratégie d’industrialisation du Maroc entre 2009 et 2015 a, quant à elle, reposé sur un Pacte national pour l’émergence industrielle. Depuis 2015 et à l’initiative du président ivoirien Alassane Ouattara, une Conférence internationale biennale sur l’émergence de l’Afrique a même été instituée et vise à « soutenir le développement des capacités à préparer et mettre en œuvre les plans d’émergence » du continent. Mais peut-on réellement identifier des pays africains qui se démarquent dans leur trajectoire de développement au point de pouvoir être considérés comme émergents ou en voie d’émergence ?

Une poignée de pays africains émergent… partiellement La notion d’émergence ne renvoie pas à une définition communément admise par l’ensemble des acteurs des sphères économiques et financières. Il est toutefois possible d’examiner l’Afrique à l’aune des critères communément admis comme étant partagés par les premiers pays émergents, notamment asiatiques. Ces économies se sont distinguées par une croissance économique soutenue sur une longue période, leur capacité d’intégration commerciale et financière, et la prise de relai d’un développement extraverti par une croissance endogène, reposant sur le développement d’un marché intérieur et d’une consommation interne dynamique. Or, si quelques pays africains enregistrent de très bonnes performances dans l’un de ces domaines, ils peinent à répondre à l’ensemble de ces critères. Prenons l’exemple du Nigeria, de l’Afrique du Sud et de l’Égypte, qui constituent les trois premières économies africaines en termes de produit intérieur brut (PIB). De par leur taille, ces économies sont les principales destinations africaines des investissements directs étrangers (IDE), après Maurice. Elles concentrent à elles seules 35 % des flux entrants en Afrique. Mais ces économies enregistrent des performances mitigées en matière d’indicateurs sociaux. Si l’on considère à présent les pays qui connaissent les plus forts taux de croissance, ils ne sont pas nécessairement pour autant ceux qui attirent le plus de capitaux ni ceux qui parviennent à faire bénéficier cette accumulation de richesse à leur population.  

L’Éthiopie, le Rwanda et la Tanzanie, dont les croissances économiques ont été durablement soutenues au cours de la dernière décennie, sont certes engagés dans une dynamique de rattrapage, mais ces pays demeurent des marchés de taille limitée : le PIB éthiopien ne représente en 2019 que 20 % du PIB nigérian, contre 15 % pour la Tanzanie et seulement 2 % pour le Rwanda. En outre, leurs résultats en matière d’indicateurs sociaux restent modestes en dépit d’une réduction de la pauvreté. Ces exemples soulignent tout l’enjeu du caractère inclusif du modèle de croissance des pays africains.   Émergence : l’Afrique a son propre index On comprend alors pourquoi la grande majorité du continent (à l’exception de l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, de l’Égypte et du Nigeria) était jusqu’aux années 2010 tenue à l’écart de la notion d’émergence proprement dite. Mais s’il apparaît que peu de pays africains peuvent être qualifiés d’émergents à ce stade, plusieurs économistes et chercheurs proposent des nouvelles définitions de l’émergence élargies à des critères sociaux, de gouvernance et de qualité des infrastructures. Ces définitions revisitées permettent d’identifier les prochains pays émergents en Afrique. Aux BRICS et autres classements élaborés par les agences de notation ou les banques d’affaires au cours des précédentes décennies viennent alors s’ajouter des acronymes qui laissent davantage de place aux pays africains (comme les BENIVM, dont l’Éthiopie et le Nigeria font partie), voire qui se concentrent sur ce continent à l’exemple des AKNEEM (l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria, l’Égypte, l’Éthiopie et le Maroc). Un index sur l’émergence en Afrique a également été élaboré.

L’émergence de l’Afrique précédera celle des pays africains Mais si les dynamiques à l’œuvre au sein de ces pays sont positives, leurs trajectoires ne peuvent être comparées à celles observées dans les grands pays émergents au cours des décennies 1990 et 2000. Elles ne laissent pas présager d’une émergence sous la forme d’un modèle aussi extraverti, amené à concurrencer ces grandes économies à court terme, tout du moins à l’échelle nationale. Ce n’est d’ailleurs pas l’ambition de la plupart des pays africains disposant d’un plan d’émergence, qui recherchent avant tout une plus grande prospérité. Au-delà de ces dynamiques nationales, l’Afrique dispose toutefois d’atouts pour émerger en tant que continent. Raisonner à cette échelle permet de lever les freins auxquels font face les pays africains pris individuellement, en élargissant la taille du marché, en offrant de nouvelles opportunités économiques et en multipliant la capacité d’insertion dans les échanges internationaux tant commerciaux que financiers. À terme, l’Afrique pourra en effet s’appuyer sur la perspective potentielle d’un dividende démographique, sur le dynamisme de la consommation intérieure, voire à terme sur la complémentarité de ses productions. Les institutions africaines se mettent progressivement en place pour accompagner cette émergence. Alors que les organisations régionales aspirent à se renforcer, le premier pas d’une intégration à l’échelle continentale a été franchi avec la mise en place de la zone de libre-échange continentale (ZLECA). Un marché financier viendra dans un second temps. L’Afrique est donc bien en voie d’émergence, mais sans pour autant reproduire les trajectoires de développement des nouveaux pays industrialisés asiatiques ou des grands pays « émergents » tels que le Brésil, la Chine ou l’Inde. En embrassant les singularités économiques communes de nombre de pays qui la composent, l’Afrique est en train de tracer une voie qui lui sera propre.